fbpx
Oxfam-Magasins du monde

Chocolat équitable et travail des enfants

Analyses
Chocolat équitable et travail des enfants

Le 24 mars 2010, la BBC consacrait son émission Panorama entièrement à la question du travail des enfants dans la filière du chocolat en Afrique de l’Ouest [[highslide](1;1;;;)Kenyon, P., Chocolate: The Bitter Truth, Emission Panorama – BBC One, 24 mars 2010[/highslide]] . Délibérément provocateur, le reporter de l’émission proposait dans son reportage à des consommateurs potentiels de gouter du chocolat dont l’emballage garantissait à 100% qu’il avait été produit par des enfants esclaves. Objectif ? Susciter auprès d’eux une réaction spontanée de dégout et désapprobation. Et, par là, leur faire prendre conscience qu’en réalité il n’existe encore aujourd’hui aucune initiative qui puisse garantir à 100% le contraire, pas même le chocolat du commerce équitable ! Est-ce à dire que le commerce équitable n’offre aucune garantie ?
Pour répondre à cette question, il est d’abord nécessaire de bien identifier ce qui distingue le commerce équitable d’autres types d’initiatives volontaires. Ensuite, nous identifierons quelles sont véritablement les garanties du commerce équitable vis-à-vis du travail des enfants.

Commerce équitable et entreprises responsables [[highslide](2;2;;;)Construction de ce point à partir de: Corporate Social Responsibility – does it make any difference?, Fair Trade Tool Kit, Traidcraft, octobre 2004.[/highslide]]

La volonté de rendre les échanges commerciaux plus vertueux n’est pas l’apanage des seuls acteurs du commerce équitable. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises veillent également à améliorer l’impact social de leurs activités dans leurs filières et développent leurs propres approches sur base volontaire. Le plus souvent, il s’agit de codes de conduites qui visent à garantir le respect de normes établies [[highslide](3;3;;;)C.Dayez, Les multinationales face à leurs responsabilités sociétales, Etude, Oxfam-Magasins du monde, 2009[/highslide]]. Au-delà de la simple question de la crédibilité de certaines de ces démarches, il est surtout important de souligner qu’elles ne sont pas identiques !
[highslide](Quelques criteres des organisations du commerce equitable;Quelques criteres des organisations du commerce equitable;600;600;)

Organisations de producteurs Organisations d’importateurs
  • Gestion démocratique et transparente
  • Conditions de travail et salaire décents aux travailleurs
  • Liberté d’association
  • Pas de discrimination
  • Relation de coopération de longue durée
  • Engagement à investir dans le développement de l’organisation, le bien-être des producteurs/travailleurs, la qualité des produits et le respect de l’environnement
  • Interdiction des pires formes de travail des enfants. (Voir analyse Travail des enfants)
  • Paiement d’un prix juste qui couvre les coûts de production et qui soit générateur de revenus décents
  • Favoriser les petits producteurs et leur permettre d’investir dans l’amélioration de leurs conditions de vie
  • Support logistique et financier, avec préfinancement si nécessaire
  • Relation de coopération de longue durée
  • Relation commerciale transparente

[/highslide][[highslide](4;4;;;)Les critères de partenariat d’Oxfam-Magasins du monde sont consultables sur http://www.omdm.be/partenaires-producteurs/[/highslide]]
Dans le cadre du commerce équitable, il est reconnu que les acheteurs exercent une influence déterminante dans une relation commerciale. C’est la raison pour laquelle des critères s’imposent tant aux organisations de producteurs qu’aux organisations qui importent les produits.
Réduire la pauvreté grâce au commerce, c’est l’affaire de tous : communautés locales, travailleurs, producteurs, acheteurs, distributeurs et consommateurs. Les organisations du Sud – partenaires des organisations du Nord ! – prennent donc une part très active dans le développement des critères du commerce équitable. Ces derniers ne leurs sont pas imposés. De même, les standards de prix payés aux producteurs doivent tenir compte des préoccupations et des besoins des producteurs et font l’objet d’une négociation qui se veut équilibrée.
Les codes de conduites visent quant à eux à faire respecter des principes dictés par les entreprises-mères – c’est-à-dire les entreprises qui achètent les produits. Ceux-ci sont le plus généralement élaborés en faisant implicitement référence aux droits du travail établis par l’Organisation Internationale du Travail et qui sont considérés comme les droits que toute entreprise devrait au minimum respecter [[highslide](5;5;;;)Dans le secteur du cacao, les entreprises se réfèrent le plus généralement aux initiatives mentionnées dans l’analyse Le goût amer du chocolat pour les enfants. Même s’il ne s’agit pas à proprement parler de code de conduite, ces démarches visent également à établir des principes minimaux spécifiques à ce secteur.[/highslide]]. Les expériences de codes de conduites les plus convaincantes sont généralement celles qui s’imposent à toute la chaîne de production – chez les sous-traitants – et qui impliquent syndicats et ONG dans le suivi, la mise en œuvre et l’évaluation de ces codes (exemple : Ethical Trading Initiative).
[highslide](Les 9 principes de Ethical Trading Initiative (ETI);Les 9 principes de Ethical Trading Initiative (ETI);;;)

  1. Pas de travail forcé
  2. La liberté d’association et le droit aux négociations collectives sont respectés
  3. Les conditions de travail respectent les règles d’hygiène et de sécurité
  4. Il est interdit de recourir aux pires formes de travail des enfants
  5. Versement d’un salaire minimum
  6. Les heures de travail ne sont pas excessives
  7. Aucune discrimination n’est pratiquée
  8. Il convient de fournir un emploi régulier
  9. Il est interdit de recourir à des traitements sévères ou inhumains


[/highslide]
Un problème récurrent de ce type d’initiatives est que les entreprises ne reconnaissent pas formellement que leurs pratiques d’achats – notamment le prix qu’elles payent à leurs fournisseurs – peuvent limiter fortement la capacité de leurs sous-traitants à respecter les principes de ces codes. Bien souvent ces codes leur sont tout simplement imposés comme une contrainte supplémentaire à l’établissement d’une relation commerciale. Dans certains cas, cette imposition unilatérale conduit même à une précarisation plus importante des producteurs.
Un agriculteur kenyan l’exprime très bien [[highslide](6;6;;;)Extrait de Corporate Social Responsibility – does it make any difference?, Op. cit.[/highslide]] : « Qu’est-ce qu’il y a d’éthique dans des prix en dessous de coûts de production ? Le producteur ne reçoit qu’une partie du prix de vente, pourquoi doit-il en supporter tous les coûts ? Vous venez nous faire passer des audits, vous savez tout sur nous, nos salaires, nos conditions de travail, etc. Et pourquoi ne pourrais-je pas à mon tour questionner vos pratiques ? »
Si commerce équitable et codes de conduites s’inscrivent bien dans la même ligne – volonté d’amélioration des impacts sociaux, économiques et environnementaux – des différences fondamentales entre ces deux approches apparaissent.
[highslide](Tableau;Tableau;600;600)

Code de conduite Commerce équitable
Ne remet pas fondamentalement l’activité commerciale en question. Milite pour plus d’équité et de justice dans les échanges commerciaux.
Impose le respect de standard internationaux développés sans consultation spécifique des populations locale. Développe ses propres critères en partenariat avec les fournisseurs et les populations locales, qui sont impliqués dans leur suivi, mise en œuvre et évaluation.
Se limite aux règles minimales reconnues internationalement. Vise avant tout à avoir un impact positif sur les conditions de vie des populations locales. De plus, il milite pour une régulation plus forte des activités commerciales des entreprises afin de les obliger à améliorer leur impact social.
Peut parfois amener à des situations indésirables. Les agriculteurs qui ne peuvent respecter les standards qui leurs sont imposés sont en effet écartés et se retrouvent alors dans des situations encore plus précaires. Veille à ce que la relation commerciale donne aux populations locales les moyens de respecter les critères et participe à l’amélioration durable de leurs conditions de vie.

[/highslide]
Dans de le cadre de ces deux approches, le travail des enfants est strictement interdit et fait l’objet d’actions très spécifiques pour traiter efficacement la question. Leur potentiel est donc bien réel [[highslide](7;7;;;)Certaines initiatives d’entreprises de chocolat font effectivement mention de certains progrès intéressants auprès de producteurs chez qui elles se fournissent ![/highslide] ]. Mais, nous voyons que la réponse apportée par le commerce équitable repose davantage sur une relation de partenariat stable, négociée et durable avec les organisations de producteurs et sur le fait que celles-ci jouent un rôle actif dans la détermination des programmes de lutte contre ces formes de travail. C’est ce qui constitue probablement l’une des meilleures garanties de réussite !

Face aux pires formes de travail des enfants, la garantie 100%, ça n’existe pas !

Aucune organisation du Nord ne peut garantir le respect de l’interdiction des pires formes de travail des enfants à 100%. En effet, seules les organisations qui sont réellement sur le terrain sont en mesure d’aller vérifier la situation et de veiller à l’application de ce principe. Et, même là, elles ne sont jamais à l’abri d’une situation où le cas pourrait malgré tout se présenter…
Comme l’a démontré Paul Kenyon [[highslide](8;8;;;)Op. cit. [/highslide]], le commerce équitable n’échappe pas à la règle ! Des cas de formes de travail des enfants interdites ont en effet été directement recensés auprès de nos propres partenaires cacao. Au Ghana, Kuapa Kokoo est une coopérative approvisionnée par 1.200 communautés (45.000 agriculteurs). En 2009, un contrôle de FLO-CERT [[highslide](9;9;;;)Organisme de certification accrédité pour le contrôle du respect des critères du commerce équitable définis par la Fairtrade Labelling Organisation[/highslide]] a révélé que pour 7 d’entre elles ces formes de travail étaient une réalité. Quelques cas très isolés ont également été observés chez Kavokiva (Côte d’Ivoire) par le journaliste lui-même !
Quand la situation se présente, les organismes certificateurs du commerce équitable voient la décertification (soit le retrait du label des produits d’une organisation de producteurs) comme la dernière des mesures qui s’impose. En effet, « L’objectif est d’aider l’organisation de producteurs à faire face au problème qui se pose […] au lieu d’imposer une interruption nette de la relation commerciale qui ne ferait que rendre la situation des agriculteurs encore plus précaire, avec pour résultat d’exposer encore davantage les enfants au risque d’être exploités ! [[highslide](10;10;;;)Crowther, B., Directrice politique et de communications de Fairtare Foundation, à la BBC, 18 mars 2010 – disponible sur le site de la BBC, op. cit.[/highslide]]» Tout est ainsi mis en œuvre pour analyser, avec les communautés, les causes du problème et identifier les moyens d’y apporter une réponse efficace et durable.
Pour Kuapa Kokoo, une suspension temporaire – du 28 août 2009 au 6 janvier 2010 – s’est imposée comme la mesure nécessaire. « Une suspension signifie que l’organisation de producteurs ne peut plus passer de nouveau contrat [avec l’organisation de commerce équitable], mais peut encore honorer ses contrats en cours. La raison à cela est qu’il faut laisser à l’organisation de producteurs le temps et les ressources nécessaires pour prendre les initiatives qui lui permettront à nouveau de respecter les critères du commerce équitable [[highslide](11;11;;;) ibidem[/highslide]]. » En ce qui concerne Kavokiva, les faits révélés ont fait l’objet d’une vérification et d’une amélioration des dispositifs de contrôle. Vu le caractère malgré tout isolé du phénomène, ces initiatives sont aujourd’hui considérées comme satisfaisantes.
Quant aux enfants qui ont été contraints aux pires formes de travail, ils font l’objet d’une attention toute particulière. D’abord, nos partenaires veillent à leur assurer une protection efficace qui leur garantisse sécurité et bien-être. Ensuite, des programmes spécifiques de réinsertion offrent l’opportunité à ces enfants de retrouver un cadre de vie qui leur permette de grandir et s’épanouir pleinement.
Enfin, les organisations partenaires sont aussi très proactives sur le terrain [[highslide](12;12;;;)Voir analyse Travail des enfants[/highslide]] . Outre les programmes de contrôle du respect de l’interdiction des pires formes de travail des enfants, de nombreuses initiatives sont prises pour prévenir ce genre de situation. Cela consiste en divers programmes comme : la sensibilisation et la formation des adultes sur le travail des enfants, l’accès à l’éducation et la formation professionnelle, la construction d’infrastructures scolaires et de santé, la création d’alternatives économiques pour les familles, etc.

En conclusion

Nous l’avons vu, le commerce équitable ne peut garantir à 100% un chocolat qui ne soit pas directement le produit de l’exploitation des enfants. Comme dans le cadre d’autres initiatives étiquetées « socialement responsables », il est en effet possible de recenser des cas où des formes de travail des enfants interdites dans le commerce équitable se sont présentées.
Toutefois, le travail des organisations partenaires du Nord et Sud du commerce équitable tend à créer les conditions les plus favorables pour que ce genre de situation ne se produise pas en s’attaquant directement à leur principale cause : la pauvreté. C’est là que réside la vraie garantie du commerce équitable !
Corentin DAYEZ
Service politique